L’Unicef a soufflé l’an dernier ses septante bougies. Né à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le Fonds des Nations unies pour l’enfance a fait face à bien des défis en sept décennies. Aujourd’hui encore, il se bat pour que le monde soit digne pour tous les enfants et respectueux de leurs droits.
Mis en place en 1946 pour aider l’enfance qui errait dans l’immédiat après-guerre en Europe, alors dévastée par cinq ans de conflit, l’Unicef a failli disparaître trois ans plus tard, l’ONU estimant que ce problème avait été pour l’essentiel résolu. On comptait alors quelque douze millions d’enfants déplacés. C’est la voix des pays en développement qui s’est levée pour attirer l’attention des Nations Unies sur le fait que, si les problèmes étaient à l’époque réglés sur le Vieux Continent, il n’en était rien dans le reste du monde. Ironie de l’Histoire, septante ans plus tard, jamais le nombre de déplacés à la surface de notre planète n’a été aussi élevé et les routes européennes voient à nouveau errer des familles et des enfants en quête d’un monde plus sûr et plus accueillant!
« Malheureusement, l’Unicef existe encore aujourd’hui. Je dis ‘malheureusement’ car cela signifie tout simplement qu’il y a toujours énormément d’enfants à aider et certainement davantage qu’il n’y en avait à l’époque », déclare d’emblée Olivier Marquet, le directeur général d’Unicef Belgique. Ce qui ne l’empêche pas de se réjouir parallèlement qu’en sept décennies, l’enthousiasme des collaborateurs du fonds onusien reste intact. Et si les besoins n’ont pas diminué, la générosité des donateurs n’a, elle non plus, pas diminué. « Ces trois facteurs combinés nous donnent l’espoir que nous pourrons continuer à accomplir notre mission dans les années à venir avec encore plus d’enthousiasme et de dynamisme, d’autant que cette mission s’est étendue. Dans le passé, nous voulions aider l’enfance de façon indistincte; aujourd’hui, nous avons décidé de façon très précise d’aider chaque enfant dans le monde à devenir un adulte responsable. Ce choix de dire ‘chaque’ enfant signifie que nous ne voulons en oublier aucun. Nous avons pour vocation d’être présent sur tous les fronts, dans le monde entier. »
Contrairement à d’autres organismes, l’Unicef a aussi pour vocation d’accompagner les gouvernements, en étant un facilitateur qui aide ceux-ci à remplir leurs obligations et devoirs au niveau du respect des droits de l’enfance, grâce à ses équipes présentes dans tous les pays du globe, ce qui ne l’empêche pas d’intervenir lors de situations d’urgence, comme en Haïti par exemple.
Lorsque vous voyez aujourd’hui des enfants exploités, des enfants-soldats ou d’autres qui se noient en mer pour fuir la misère, n’éprouvez-vous pas un sentiment de désespoir en vous disant qu’après septante ans, la situation est plus grave?
J’ai un sentiment de révolte, mais pas de désespoir. Parce que ce serait désespérer de l’homme. Or, nous voyons toutes les bonnes volontés qui s’unissent. Rien qu’en Belgique, l’Unicef a près de quatre-vingt mille parrains et marraines qui donnent annuellement près de douze millions d’euros hors urgences. En 2015, l’Unicef au niveau mondial a investi près de trois milliards et demi d’euros pour les enfants. Et il faut aussi souligner le travail extraordinaire de dizaines de milliers de volontaires et de collaborateurs qui aident sur le terrain. Rappelons aussi que nous avons pu éradiquer la polio en Afrique, à travers des campagnes de vaccinations massives. La mortalité infantile est aussi moins importante. Tout cela est dû aux efforts constants de l’Unicef envers l’ensemble des gouvernements. Il y a beaucoup d’avancées positives, mais il y a encore énormément à faire.
En Belgique, 15% de la population vit sous le seuil de pauvreté. La pauvreté infantile est encore plus importante, notamment à Bruxelles et en Wallonie. Comment agissez-vous pour combattre cette situation?
Nous avons une équipe de six personnes qui se consacre uniquement à étudier et analyser cette situation pour faire des recommandations au gouvernement et faire connaître à la population l’ensemble des problèmes que peut connaître l’enfance dans notre pays. Nous avons publié un rapport sur l’impact qu’a la pauvreté sur le développement et l’éducation des enfants en Belgique; impact qui est tout à fait dramatique dans la mesure où, très vite, il les met en décrochage scolaire. Notre action vise à montrer les fragilités de notre société pour permettre aux autorités d’agir.
Quand vous voyez la situation à propos des migrants, avez-vous réellement l’impression que le monde politique est sensible et conscient de leur situation?
Je ne sais pas, mais je rappelle que le monde politique n’est jamais que le reflet de la population au sens large. Si la population est convaincue qu’il faut mieux accueillir les réfugiés et que nous parvenons à convaincre nos concitoyens de faire bouger les lignes, le politique suivra immédiatement. Il ne faut pas toujours pointer du doigt le monde politique. Je crois qu’il faut regarder vers nous-mêmes: que faisons-nous pour faire changer les choses? Ecrivons-nous à nos élus et aux ministres pour dire que nous n’acceptons pas telle ou telle situation et que nous voulons que les choses changent? Par rapport aux réfugiés, nous rappelons-nous que nos grands-parents ou parents ont fui pendant la Première Guerre mondiale, errant sur les routes pour échapper aux exactions? La Grande-Bretagne a accueilli des dizaines de milliers de Belges sans se poser la question de l’impact que cela aurait sur son économie. C’était l’évidence même: on accueille les victimes de guerre. Même chose lors de l’invasion nazie en 1940, la France libre a elle aussi recueilli des milliers de nos compatriotes. Et qu’on ne dise pas que c’était plus facile à l’époque parce qu’on était de la même religion ou de la même culture. C’est la solidarité humaine qui joue et qui ne tient pas compte des différences. Nous sommes devenus horriblement frileux.
Que souhaitez-vous aux enfants en ce début d’année?
Je leur souhaite à tous de connaître uniquement des adultes qui soient attentifs à leur bien-être et à leur développement, pour les aider à devenir des citoyens responsables. Je leur souhaite de ne jamais connaître la violence absurde et inacceptable, que nous ne pouvons pas expliquer.
Propos recueillis par Anne-Françoise de BEAUDRAP et Jean-Jacques DURRÉ