En guise de résumé de la brillante conférence de Marius Gilbert mais aussi des nombreuses interventions du public, nous vous proposons une des chroniques hebdomadaires de Marius Gilbert dans le Soir parue le lundi 12 septembre 2022
La chronique de
Marius Gilbert
La gestion de la crise du coronavirus, plus jamais ça?
Il serait impensable que nos gouvernants n’aient pas déjà
préparé un plan d’action afin que nous puissions faire face efficacement et
sereinement à un éventuel rebond de l’épidémie de covid... ou à l’apparition
d’un nouveau virus.
Là, au
premier rang, un homme d’une cinquantaine d’années, le premier à lever la main
pour demander la parole :
– Mr
Gilbert, à quoi est-ce qu’on peut s’attendre ? Est-ce que cela va
recommencer ?
Nous sommes dans une petite ville wallonne vers la fin du printemps, je viens
de terminer mon exposé. L’accueil a été chaleureux, un texte d’introduction
assez subtil et une présentation ironique de la place des experts à
l’avant-plan médiatique. Le public est plus clairsemé que d’habitude, mais nous
sommes vendredi soir. Il fait magnifique, la Belgique revit et l’appel du
barbecue a dû en décourager certains. Et puis, tout le monde en a un peu marre
du covid. Mais l’homme a l’expression un peu tremblante. Je le mets sur le
compte de la nervosité et m’apprête à répondre, mais il enchaîne. Cette fois,
la voix chancelle, s’étrangle, il est pris par l’émotion :
– Parce
que moi, ça, ce que j’ai vécu, je ne pourrais plus… On a été abandonnés, j’ai
été abandonné, j’ai dû prendre des décisions terribles, j’étais tout seul, je…,
je n’arrive pas trop à y repenser, dormir, mais ce que je sais, c’est que je ne
serais pas capable de revivre ça.
Au
cœur des pires journées de 2020
L’atmosphère
change en un instant. Du ronronnement de mon récit d’une histoire qui semble
déjà ancienne, nous basculons au cœur des pires journées de 2020. Je comprends
qu’il est responsable d’une collectivité pour personnes en situation de handicap.
Pour aborder l’avenir sereinement, il est parfois nécessaire de retourner dans
le passé. Dans cette salle à la lumière tamisée, nous le faisons dans le
silence et la gravité.
Ils
furent des centaines, des milliers d’acteurs de terrain à devoir comme lui
improviser des solutions. Faire front avec ce que l’on a sans savoir à quoi on
fait face. Gérer le manque d’équipement, quand il y en a. La débrouille pour
sauver des vies. Bricoler des respirateurs avec des masques de plongée, faire
des pièces avec des imprimantes 3D, des visières avec des transparents, compter
sur les proches pour les masques. Affronter les défections en cascade, devoir
rassurer les autres en ayant la peur au ventre. Perdre des collègues, des
patients ou des pensionnaires, sans jamais être sûr qu’on a fait tout ce qu’il
fallait pour l’éviter. Apprendre à vivre avec ses doutes. Et chacun à son
niveau, parfois plus éloigné du terrain, prendre des décisions lourdes de
conséquences. Mais c’est comme ça, il faut tenir, serrer les dents. « Des
erreurs ? Oui, peut-être, on verra après… ». Parce qu’il faut bien
que quelqu’un décide, fasse le boulot. On se serre les coudes avec celles et
ceux qui sont là et on tient. Manque de sommeil, anxiété, épuisement, aller
« dans le rouge » sans savoir pour combien de temps. Rentrer chez
soi, chercher à se vider la tête des images du jour, parcourir le fil Facebook
des amis et déjà, tomber sur des « ce n’est qu’une grosse grippe »,
« on en fait trop », « et nos libertés… ». Serrer les
dents, manger en silence, tenter de trouver le sommeil et au matin, repartir.
L’énergie du dévouement pour carburant.
Avons-nous
bien intégré les leçons ?
La
discussion revient vers le présent et la question initiale. On respire, on
tousse, on ajuste sa position sur sa chaise, on est sorti en pensées du tunnel.
« Est-ce que ça va recommencer ? » Non. Avec les vaccins, les
thérapies, la prévention, les procédures, tout ce que nous avons appris, il
n’est plus imaginable que ne soyons jamais amenés à revivre ça avec le covid.
Mais qu’en serait-il pour un nouveau virus ? Avons-nous réellement
intégré toutes les leçons dans un plan pandémie qui nous permettrait de mieux
faire face à l’avenir ? Pas encore… Nos autorités sortent à peine de la
gestion de crise du covid, il est sans doute encore trop tôt. Mais les urgences
se suivent et se télescopent. Le dernier Codeco portait sur l’énergie. Tous les
regards sont maintenant tournés vers les graves ramifications de la crise
énergétique qui s’avance vers nous, cette fois encore, à l’approche de l’hiver.
Quel espace politique reste-t-il pour porter la nécessité d’un plan
pandémie ? Lorsque l’on mesure l’impact qu’a eu cette pandémie sur notre
vie collective, on frémit à l’idée d’un virus qui serait nettement plus
virulent, ou pour lequel les personnes les plus à risque de décès auraient été
les enfants ou les jeunes. Le covid-19 s’est peut-être normalisé, mais le risque
pandémique n’a pas disparu avec lui.
Bien sûr
les nouvelles urgences doivent être rencontrées en priorité. Mais si nous ne
faisons que les gérer les unes derrière les autres, sans consacrer une part
importante de notre énergie collective à transformer notre société plus en
profondeur, nous sortirons de chaque crise aussi vulnérables que nous y sommes
entrés.
Une
nuée de pathogènes candidats
La variole du singe a touché des centaines de personnes chez nous, l’OMS a déclaré
qu’il s’agissait d’une urgence sanitaire internationale et des Belges se
sachant à risque, mais ne pouvant documenter deux infections sexuellement
transmissibles sur les 12 derniers mois durent aller se faire vacciner à…
Lille. Il y aurait trop peu de vaccins, la commande est en cours, on aura les
suivants à l’automne. Cela résonne avec de mauvais souvenirs.
Et des pathogènes
candidats, il y en a. Depuis deux ans, une large diversité de virus hautement
pathogène d’influenza aviaire (IAHP) H5Nx s’est développée en Europe du Nord
dans les populations d’oiseaux sauvages. Des milliers d’oiseaux en sont décédés
en Écosse, renforçant le risque d’extinction de certaines espèces. Le virus
s’est propagé à l’Amérique du Nord, vraisemblablement en passant par l’Islande
ou le Groenland et l’on observe des infections chez le phoque commun ou le
renard, associées à des modifications génétiques permettant l’infection des
mammifères. Il y a déjà eu des infections de personnes par ce type de virus
dans le passé et celles-ci n’ont heureusement jamais mené à des transmissions
soutenues de personne à personne. Mais ces évolutions imprévisibles doivent
nous rappeler que nous ne pouvons considérer que le risque appartient au passé.
Ne pas laisser place à l’improvisation
L’humanité
a toujours vécu avec les pandémies. Il est irréaliste d’imaginer que l’on
puisse les empêcher. Par la collaboration internationale, nous pouvons les
détecter et réagir là où ces nouvelles émergences surviennent. Mais si malgré
cela, une nouvelle pandémie devient inévitable, nous devons être préparés de
manière à en minimiser l’impact chez nous.
Cette préparation passe par le fait d’envisager l’ensemble des scénarios
pandémiques et d’identifier la gouvernance, les ressources, infrastructures,
personnes et procédures à mobiliser pour chaque situation, comme on le fait
pour la prévention d’autres risques. Cela passe par le fait que cet homme comme
ces milliers de personnes qui furent contraintes d’improviser les moins pires
décisions dans l’urgence, sachent quelles actions mettre en œuvre si une
nouvelle pandémie venait à survenir, et de s’assurer qu’elles aient les moyens
matériels et humains de le faire.
C’est un
travail important, un travail de fourmi, un travail indispensable, à la hauteur
de l’impact économique, social et humain que nous avons subi.