CONFERENCE
2024 marquera le 75e
anniversaire du Conseil de l'Europe - une occasion de sensibiliser à l'impact
positif de l'Organisation sur la vie quotidienne des citoyens pendant trois
quarts de siècle, en protégeant les droits de l'homme, la démocratie et l'État de
droit.
Le Conseil de l'Europe est une organisation
internationale dont le siège est à Strasbourg, qui rassemble environ 675
millions de ressortissants de 46 États membres. Il a pour mission principale de
renforcer dans l'ensemble de l'espace constitué par ses Etats membres la
démocratie, les droits de l'homme et l'Etat de droit.
Cette organisation intergouvernementale est instituée
le 5 mai 1949 par le traité de Londres.
La Convention européenne des droits de l'homme, ainsi
que la Cour européenne des droits de l'homme qui l'applique, constituent les
chevilles ouvrières du Conseil. C'est auprès de cette Cour que tous les
individus, ressortissants ou non des États parties à la Convention, peuvent
introduire des requêtes s'ils estiment qu'un État partie à la Convention a
enfreint leurs droits.
La Convention européenne des droits de l’homme
Signée à Rome le 4 novembre 1950, la Convention
européenne des droits de l’homme, née de la volonté des États de ne plus
revivre les atrocités de la seconde Guerre mondiale, a été le premier instrument concrétisant et
rendant contraignants les droits énoncés dans la Déclaration universelle des
droits de l’homme.
Elle énonce des droits absolus auxquels les États ne peuvent
porter atteinte, tels le droit à la vie ou l’interdiction de la torture, et
protège des droits et libertés qui ne peuvent être restreints que par la loi,
lorsque de telles mesures sont nécessaires dans une société démocratique ;
il s’agit, par exemple, du droit à la liberté et à la sûreté ou encore le droit
au respect de la vie privée et familiale.
De nombreux droits sont venus s’ajouter au texte initial
avec l’adoption de protocoles additionnels, portant, notamment, sur l’abolition
de la peine de mort, la protection de la propriété, le droit à des élections
libres ou la liberté de circulation.
La Cour européenne des droits de l’homme
La Cour européenne des droits de l’homme, organe judiciaire
du Conseil de l’Europe, examine des requêtes individuelles émanant de
particuliers, mais il peut aussi s’agir de requêtes interétatiques,
c’est-à-dire d’un État contre un autre État signataire de la Convention.
L’impact de la Convention
Si l’impact du travail de la Cour de Strasbourg est si
important, c’est en raison de la force obligatoire de ses arrêts. L’État
condamné est tenu d’exécuter l’arrêt en réparant le préjudice subi par le
requérant et dans la mesure du possible, en effaçant les conséquences de la
violation. L’État doit aussi éviter que toute nouvelle violation similaire ne
se produise, c’est-à-dire que d’autres personnes subissent une violation
semblable. En pratique, cela se traduit souvent par un changement de législation.
QUELQUES ARRETS QUI ONT FAIT L’ACTUALITE
Discrimination
des enfants naturels
L'arrêt Marckx est une des affaires les plus citées de
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Alexandra Marckx était l'enfant d'une mère
volontairement célibataire qui, lors de la naissance, constate que même après
avoir reconnu et adopté son enfant, celui-ci ne disposait que de droits
partiels, selon le droit belge de l’époque.
Les plaintes de la mère d’Alexandra se résument comme
suit :
1. le simple fait de la naissance ne suffit pas pour
établir un lien juridique entre l’enfant « naturel » et sa mère;
2. même après la reconnaissance par la mère, aucun
lien juridique n’existe entre l’enfant « naturel » et ses grands-parents;
3. en revanche, après la reconnaissance par la mère,
celle-ci ne peut léguer la totalité de ces biens à son enfant « naturel ».
Comme elle jugeait cette discrimination inacceptable,
elle saisit en 1974, pour le compte de son bébé de dix mois, la juridiction
européenne.
La Cour lui donna raison et jugea, dans son arrêt de
1979, que l'État belge devait mettre fin à la discrimination entre ce que l'on
appelait jadis les enfants naturels et les enfants légitimes.
En 1987, la Belgique adapta finalement sa législation
en matière de filiation. Tous les enfants ont désormais des droits identiques,
quelle que soit leur filiation.
Le droit à
l’oubli
Le 4 juillet 2023 a été rendu un arrêt de la Cour
européenne des droits de l’Homme (CEDH) sur le « droit à l’oubli »
En l’espèce, le directeur d’un quotidien avait été
condamné par les juridictions belges à anonymiser les archives en ligne d’un
article référençant le nom d’un conducteur responsable d’un accident mortel de
la route survenu en 1994. Le conducteur visé arguait que l’article apparaissait
lorsque son nom était entré dans un moteur de recherche en ligne, ce qui
portait atteinte à sa réputation et à sa situation professionnelle. Les
juridictions internes avaient fait droit à sa demande en imposant une anonymisation.
Dès lors, le directeur du quotidien déposait une requête sur base de l’article
10 de la convention, relatif à la liberté d’expression.
La Cour rappelle d’abord que le droit à l’oubli est
une composante du droit à la vie privée protégé par l’article 8 de la CEDH et
le définit ainsi : « le droit à l’oubli repose sur l’intérêt d’une personne à
faire effacer, modifier ou limiter l’accès à des informations passées qui
affectent la perception actuelle de cette personne. En cherchant à faire
disparaître ces informations, les intéressés veulent éviter de se faire
reprocher indéfiniment leurs actes ou déclarations publiques antérieures et
cela dans des contextes variables, tels que, par exemple, l’embauche ou les
relations d’affaires » .
La Cour devait ensuite répondre à la seconde question,
celle de savoir si l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression était
« rendue nécessaire dans une société démocratique » au regard de la mise en
balances de deux droits d’égale valeur, à savoir les droits d’autrui (vie
privée, réputation) et le droit à la liberté d’expression ; en l’espèce, elle a
considéré l’anonymisation du nom était une ingérence rendue nécessaire ;
La Cour a pris en compte de manière cohérente la
nature et la gravité des faits judiciaires relatés dans l’article litigieux,
ainsi que l’absence d’actualité, d’intérêt historique ou scientifique de
celui-ci, et l’absence de notoriété du conducteur. Elle a également tenu compte
du préjudice grave subi par le conducteur en raison du maintien en ligne de
l’article litigieux en libre accès, qui pourrait créer un « casier judiciaire
virtuel ». Après avoir examiné les mesures envisageables pour la mise en balance
des droits en présence, les juridictions nationales ont conclu que
l’anonymisation litigieuse ne constituait pas une charge exorbitante et
excessive, tout en représentant la mesure la plus efficace pour la protection
de la vie privée du conducteur.
Interdiction de
l’abattage rituel
Des citoyens ou associations de confession musulmane
et juive avaient introduit une requête pour lutter contre des décrets adoptés,
en 2017 et 2018, par les régions wallonnes et flamandes (pas bruxelloise) interdisant l’abattage rituel sans
étourdissement préalable.
Pour les deux cultes, les animaux doivent être saignés
encore conscients pour que leur viande puisse être consommée conformément aux
principes religieux. Selon eux, cette interdiction va à l’encontre de l’article
9 de la Convention européenne des droits de l’homme sur « la liberté de pensée,
de conscience et de religions » qui garantit à chacun la possibilité de
pratiquer et d’accomplir les actes rituels. La Cour européenne en date du 13
février 2020 a estimé que « les décrets litigieux ont été adoptés à la suite
d’une vaste consultation de représentants de différents groupes religieux, de
vétérinaires ainsi que d’associations de protection des animaux ». Elle estime
que les autorités « ont pris une mesure qui est justifiée dans son principe et
qui peut passer pour proportionnée au but poursuivi, à savoir la protection du
bien-être animal en tant qu’élément de la morale publique ».
Le paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention
européenne des droits de l’homme prévoit en effet que « la liberté de
manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres
restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures
nécessaires. La Cour a considéré que le bien-être animal, compte tenu de
l’évolution de la société, relève de la « morale publique » qui justifie une
restriction prévue par l’article 9.
L’arriéré
judiciaire en Belgique
Le 5 septembre 2023, la Belgique a été condamnée par
la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de l’art. 6, § 1 CEDH.
Cette disposition garantit à toute personne le droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement, dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant
et impartial défini par la loi. Or, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt
du 5 septembre 2023, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la
durée des procédures devant les tribunaux bruxellois n’était plus raisonnable.
La lecture de l’arrêt est loin d’être rassurante. En
termes assez forts, il établit que le retard judiciaire à Bruxelles est de
nature structurelle, ce qui ne surprend personne. Le Conseil supérieur de la
justice l’avait déjà souligné.
En 2020, le stock de dossiers restant à traiter
s’élevait à près de 12.000 dossiers.
Les raisons de cet arriéré historique sont sans aucun
doute multiples et complexes. (complexité des procédures, retard dans la mise
en état par les parties elles-mêmes …) mais aussi et surtout le manque de
magistrats pour résorber l’arriéré.
NDLR en 2020, seulement 0,22 % du produit intérieur
brut (PIB) ont été consacrés par l’État belge au budget du système judiciaire,
ce qui est inférieur à la médiane du Conseil de l’Europe, qui est de 0,30 %) ;
Le nombre de juges professionnels de 13,2 pour 100.000 habitants est inférieur
à la médiane du Conseil de l’Europe (qui était au même moment de 17,6 juges
professionnels pour 100.000 habitants) et a quelque peu diminué depuis 2010
puisque le nombre de juges professionnels était à cette époque en Belgique de
14,82 pour 100.000 habitants .
La cour et le
confinement
Dans sa décision rendue le 20 mai 2021 dans l’affaire
Terheş c. Roumanie concernant la mesure de confinement, du 24 mars au 14 mai
2020, limitant les sorties du domicile, prise par le gouvernement roumain pour
faire face à la pandémie de la Covid 19, la Cour considère que la mesure
contestée ne saurait être assimilée à une mesure d’assignation à résidence. Le
niveau des restrictions imposées à la liberté de circulation du requérant ne
permet pas de considérer que le confinement général imposé par les autorités a
constitué une privation de liberté. La Cour estime donc que le requérant ne
peut passer pour avoir été privé de sa liberté au sens de l’article 5 § 1 de la
Convention.
Le refus
d'héberger des demandeurs d'asile après une condamnation
La Cour européenne des droits de l’homme s’est
prononcée le 18 juillet 2023 en matière d’accueil des demandeurs de protection
internationale.
Le requérant est un demandeur de protection
internationale qui a été sans assistance matérielle ni hébergement pendant les
premiers 112 jours de sa procédure.
Il est arrivé en Belgique et a introduit sa demande
d’asile le 15 juillet 2022, mais n’a pas reçu de place en raison de la
saturation du système d’accueil.
Le 22 juillet 2022, après une requête unilatérale
invoquant le risque imminent d’atteinte grave et irréversible à sa dignité
humaine, le tribunal enjoint Fedasil d’assurer l’hébergement dans un centre
d’accueil, sous peine d’une astreinte de 1000 euros due pour chaque nuit que le
requérant aura été contraint de passer en dehors du centre d’accueil ou tout
autre hébergement.
Fedasil a continué d’ignorer l’ordonnance, sans payer
les astreintes, jusqu’au 3 novembre 2022, quand le requérant fut invité à se
présenter au centre d’arrivée de la Croix-Rouge.
Pendant les 112 jours, le requérant a vécu dans la
rue, n'a pu se nourrir et se doucher que de façon limitée grâce à
l'intervention des associations à Bruxelles.
Il a invoqué notamment la violation de l’article 6
CEDH, se plaignant de l’inexécution de la décision du tribunal de travail,
La Cour a rappelle les principes généraux et notamment
l’obligation de l’Etat de garantir l’exécution d’une décision de justice rendue
contre celui-ci. Elle réaffirme qu’une autorité de l’Etat ne peut prétexter un
manque de fonds pour ne pas honorer une dette fondée sur une décision de
justice.
Même s’il y a eu une augmentation importante en ce qui
concerne le nombre de demandes d’asiles en 2022 et l’ajout des ressortissant
ukrainiens, la Cour rappelle que le principe de la sécurité des rapport
juridiques veut que la solution donnée de manière définitive à tout litige par
les tribunaux ne soit plus remise en cause.
Les circonstances de la présente affaire ne sont pas
isolées et révèlent une carence systémique des autorités belges d’exécuter les
décisions de justice définitives relatives à l’accueil des demandeurs d’asile.
La Cour considère que les autorités belges ont affiché
un refus caractérisé de se conformer aux injonctions du juge interne qui a
porté atteinte à la substance même du droit protégé par l’article 6 §1 de la
Convention.