Chaque samedi durant l’été, dans le journal l’Avenir, une personnalité wallonne propose une visite guidée de sa ville. Dans l’édition du 22 juillet 2017, nous visitons Ath en compagnie du comédien Jean-Claude Drouot, qui incarna Thierry La Fronde.
«Quand je me réclame de mon terroir, c’est Lessines. C’est Ath. Je continue à être nourri de ça. C’est très puissant.»
L’INTERVIEW
Audrey Ronlez
Alors qu’il vit en région parisienne depuis plus d’un demi-siècle, Jean-Claude DROUOT est toujours très attaché à ses racines du Hainaut occidental
Jean-Claude Drouot est né le 17 décembre 1938 dans la ferme de sa grand-mère à Deux-Acren (Lessines). «C’est une réalité que je n’ai jamais égarée», développe le comédien belge. «Ma réalité lessinoise, elle est très solaire; liée au travail à la ferme et aux moissons pour alimenter la meunerie de mes grands-parents.» Une enfance heureuse, au gré des saisons. Malgré cette identité lessinoise forte et revendiquée, c’est pourtant Ath que Jean-Claude Drouot a décidé cette fois de nous faire visiter. Ath, la ville de son adolescence. Le lieu de ses premiers émois…
«Je suis arrivé au collège Saint-Julien en 1950. J’étais très mauvais; autant dire que j’en ai eu des cartes vertes, ici! Pour moi, c’est le temps de mon premier émoi amoureux sur le quai de la gare de Rebaix. Un émoi pour une des sœurs Dumont – dont la plus âgée a épousé mon ami José Van Dam - qui se limitait à un chocolat échangé à la porte du train. Mais, à l’époque, pour notre éducation amoureuse et sexuelle, c’étaient des gestes impurs.» Un émoi qui avait tellement inquiété les prêtres responsables de l’école que les parents de Jean-Claude Drouot furent reçus par le principal à Pâques 1955. «Il les avait convaincus que, pour mon bien, il valait mieux me mettre au pensionnat. Devant cette injustice, je suis d’abord resté sans réaction. Et puis, lors du tournoi d’escrime aux portes ouvertes de l’école, ma fureur a éclaté. J’étais tellement en colère que j’ai gagné le tournoi et ensuite dit à ma mère que je m’en allais d’ici.»
Jean-Claude Drouot n’ira pas très loin. Il poursuit sa scolarité à l’athénée d’Ath (alors à la rue du Collège) et la terminera à l’athénée d’Ixelles où ses parents ont déménagé. «Je n’en veux à personne. Cela fait partie de moi. Cela reste d’ailleurs très puissant en moi, même si je ne suis pas devenu un mécréant pour autant.»
Une triple identité
Voilà donc pourquoi Jean-Claude Drouot, même s’il vit à Paris depuis 1959, revendique ses doubles racines. «Quand je me réclame de mon terroir, c’est Lessines. C’est Ath. Je continue à être nourri de ça. C’est très puissant.»
Et ce qui le lie particulièrement à Ath, c’est aussi une vive amitié. «L’amitié avec Jean-François (NDLR: Masson) qui a été le porteur d’Ambiorix. Ath, c’est une ville qui exprime pour moi la fraternité, l’amitié et une tolérance évidente.»
Enfin, au-delà de cela, Jean-Claude Drouot n’a jamais voulu abandonner sa nationalité belge. «Je suis Belge et non pas Belge de France!»
Si pour lui, c’était une évidence, son avis a légèrement évolué depuis les dernières élections présidentielles françaises. Sans renier ses origines, Jean-Claude Drouot vient de se décider à demander la double nationalité. «J’ai pris cette décision car, d’une part car je ne risque plus de perdre ma nationalité belge et, d’autre part, car je n’ai pas d’avantage non plus à ne pas être Français. Moi qui ai fait entendre Jaurès, je me sentais privé d’un droit.»
LE PORTRAIT
Audrey RONLEZ
« Avoir un théâtre à son nom, ça sent le sapin ! »
Audrey RONLEZ
Jean-Claude DROUOT connaît tous les pavés de Lessines, la ville qui l’a vu naître et avec laquelle il garde un lien intense et solaire
Quand Jean-Claude Drouot parle de Lessines, son regard s’éclaire. Ses yeux pétillent. Pour lui, Lessines et surtout Deux-Acren, c’est son enfance. Une enfance heureuse. Mais, ce n’est pas pour autant que le lien qu’il entretient avec la cité des cayoteux est étranger au monde du sixième art. Que du contraire ! À Lessines, Jean-Claude Drouot a même un théâtre à son nom.
« Quand je suis dans la cour de la ferme de l’Hôpital Notre-Dame à la Rose et que je vois mon nom, je me dis que c’est chouette, mais je sais aussi que je dois le mériter. »
La Ville d’Évry (où il vit à 25 km au sud-est de Paris) avait déjà voulu donner le nom de Jean-Claude Drouot à sa Maison des jeunes et de la culture, mais ce dernier avait décliné l’offre. « Je me suis dit à l’époque “Aie, aie, cela sent le sapin !” »
Avant cela encore, Jean-François Masson se souvient que, lorsqu’il était président de la Maison Culturelle d’Ath, il voulait faire de même avec une salle du Palace fraîchement aménagé. « Guy Spitaels m’a alors dit : “Tu veux la mort de ton ami ?” »
Une belle forme d’amitié
Mais à Lessines, tout semble différent… « Si je l’ai accepté en 2013, ce n’est pas parce que je ne me méfie pas du sapin, qui est d’ailleurs de plus en plus proche, mais c’est parce que cela me permet d’affirmer mon identité profonde. »
Les honneurs, Jean-Claude Drouot ne court pas après. « J’y ai touché trop vite, d’emblée, et trop jeune. C’est grâce à cela que j’ai pu faire mon choix et forger mon avis sur ce monde de gloire. Parfois, je pense que ça doit en déranger certains. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’on annonce ma mort. À 77 ans, je ne suis plus un jeune homme, c’est sûr. Je suis même plutôt dans une période où l’on se demande si je suis encore vivant », raconte avec beaucoup d’humour un Jean-Claude Drouot lucide et modeste. « Je ne suis donc avide d’aucune forme d’honneur, mais je suis reconnaissant de toutes les formes d’amitié. »
Par ailleurs, Lessines inspire aussi le comédien. Il a présenté, au mois de juin une pièce intitulée « Un tramway pour Golconde » sur l’amitié de deux célèbres surréalistes lessinois : René Magritte et Pierre Scutenaire. Une pièce sublime écrite par Christian Birgin qui, on l’espère, dépassera rapidement les frontières du théâtre… Jean-Claude Drouot !
LA VISITE GUIDEE
Rencontre avec Audrey RONLEZ
- La bibliothèque Jean de la Fontaine
Il y a 175 ans, le conseil communal athois décidait de créer une bibliothèque « publique ». Depuis, elle a déménagé quatre fois pour terminer dans ses locaux actuels du boulevard du Château en 1999. Jean-Claude Drouot, qui a énormément travaillé autour de Jean de la Fontaine, a participé à l’inauguration des lieux.
La Dendre présente un caractère vert très prononcé sur la presque totalité de son cours et plus particulièrement entre Ath, Lessines, Grammont, Ninove et ce, jusqu’à Alost. Ce caractère vert n’est interrompu que par les noyaux urbains relativement petits, comme c’est le cas à Ath.
À noter que la piste cyclable presque ininterrompue qui longe la Dendre et traverse la frontière régionale, a participé au développement de l’un des principaux axes pour le cyclotourisme dans notre pays.
En outre, le tourisme fluvial, le transport de passagers et le sport nautique sont bien présents sur cette Dendre, sinueuse et étroite.
L’étroite Dendre entre Alost, Grammont et Ath n’a jamais été adaptée au transport de marchandises contemporain. Mais grâce à cela, elle a en grande partie conservé son caractère naturel et charmant. Les petites écluses manœuvrées manuellement sont souvent un attrait supplémentaire.
« Un cordon ombilical »
Pour Jean-Claude Drouot, la Dendre est un cordon ombilical qui fait le lien entre Ath, Lessines et la Flandre. « C’est plus fort qu’une route ; d’autant qu’elle naît ici tout près », développe le comédien. « Mon triangle d’or, ce n’est pas Bruxelles. Mon triangle d’or, c’est Ath, Lessines et Renaix/Oudernarde d’où vient ma famille maternelle. Je tiens toujours à rappeler l’identité flamande qui me constitue. Et la Dendre, c’est aussi celle qui alimentait la meunerie de mon grand-père… »
La Dendre illustre donc toute la belgitude de Jean-Claude Drouot. « Ma légitimité locale n’est pas usurpée, mais revendiquée. Et si j’avais négligé mon identité belge, je ne ressemblerais pas à moi-même. »
- « La dimension des géants nous élève »
«Je suis ravagé d’émotion». C’est avec ces mots très forts que Jean-Claude Drouot a retrouvé son grand copain Ambiorix dans les réserves de la bibliothèque Jean de la Fontaine. C’est très ému qu’il a fait face à ce personnage mythique et puissant auquel il avait prêté sa voix dans le DVD en hommage à ses porteurs.
«Ath c’est la ville des géants qui ne sont pas des marionnettes. Ces géants, c’est assez étonnant parce qu’ils ont une dimension – pas parce qu’ils sont plus grands que nous – ils sont grands à l’intérieur. Ils élèvent nos rêves les plus fous. Les Athois confient à ces géants de relayer ou d’exprimer nos désirs les plus inaccessibles. Ils expriment cette dimension-là que notre réalité charnelle n’accomplit pas vraiment. Ils expriment une atemporalité de nos rêves.»
Le comédien connaît la place qu’a la Ducasse pour les Athois. Il y a d’ailleurs participé à plusieurs reprises. Lorsqu’il était encore porteur, son ami Jean-François Masson lui avait d’ailleurs dédié une danse au Pont du Moulin.
http://www.lavenir.net/cnt/dmf20170707_01028127/jean-claude-drouot-thierry-la-fronde-nous-fait-visiter-sa-ville-ath
L’église Saint-Julien tient une place importante dans le patrimoine cher aux habitants d’Ath, notamment parce que chaque année, le quatrième dimanche d’août, on y célèbre les vêpres, mariage symbolique des géants, les époux Goliath.
Le bâtiment fut érigé fin du XIVe – début du XVe siècle en style gothique. De cette période subsistent la grande tour, le chevet du chœur et le beau portail occidental.
Après un incendie en 1817, l’intérieur fut réaménagé en style néo-classique. On appréciera la remarquable décoration du chœur en trompe-l’œil et les quatre toiles accrochées aux murs latéraux du XIXe siècle présentant des scènes du Nouveau Testament. L’église contient aussi la châsse reliquaire de saint Julien. On peut entendre un beau carillon composé de 3 octaves et 41 cloches.
Pour Jean-Claude Drouot, cette église lui rappelle surtout le concert qu’il avait organisé avec son ami Jean-François Masson en mémoire et au profit des victimes de la catastrophe de Ghislenghien. Au lendemain de l’explosion de gaz qui avait coûté la vie à 24 personnes le 30 juillet 2004, il avait immédiatement voulu à sa manière contribuer à l’apaisement des familles des victimes et à la mémoire collective. Son ami José Van Dam avait aussi immédiatement accepté de participer à ce concert d’exception.
L’hôtel de ville d’Ath a été construit de 1616 à 1624 sur les plans de l’architecte Wenceslas Cobergher (1557-1634). Le style baroque reste fort modéré. Le bâtiment a subi de nombreuses restaurations, après le siège de 1745, en 1774, en 1826 et en 1861-63. Il a été entièrement reconstruit de 1980 à 1983. À l’intérieur, dans la salle des pas-perdus, le décor baroque s’exprime avec la cheminée datée de 1620, les deux portes et l’escalier d’honneur.
L’hôtel de ville accueille le Musée national des Jeux de Paume. C’est là, dans les combles, que le comédien Jean-Claude Drouot avait d’ailleurs proposé le parcours qu’il avait conçu sur Jean de la Fontaine. Mais, quand il aperçoit l’Hôtel de Ville d’Ath, c’est surtout à Guy Spitaels que pense Jean-Claude Drouot.
« C’est lui qui, lors d’un voyage avec les amis d’Ath en bourgogne, m’avait posé la vraie question. Celle à laquelle je n’ai pas répondu, mais qui reste pertinente 16 ans après : “Pourquoi êtes-vous resté Belge ? ” Je suis parti en 1959 à Paris pour être comédien, mais je suis toujours resté Belge car c’est mon identité, mon terroir, mes racines. »