La toponymie des rues peut notamment renseigner de la géographie ou de l’histoire des lieux que nous fréquentons. Il en va ainsi de la rue de la Ladrerie à Tongre-Notre-Dame, une route menant, via la rue du Dohy, à la chapelle de la Ladrerie, érigée il y a neuf siècles, le long de la rue d’Ath à Chièvres. Un lieu paisible, mais aussi et surtout le témoin d’une époque rappelant que la crise qui nous touche actuellement n’est en rien nouvelle.
De tout temps, depuis son apparition sur la terre, l’Homme a été confronté aux virus et bactéries. Depuis des siècles, ces ennemis invisibles rivalisent d’ingéniosité pour rappeler aux humains le caractère éphémère de la vie sur terre. Maladies et épidémies se succèdent, les obligeant à s’adapter et trouver des parades. Le patrimoine local nous le rappelle, comme cette chapelle, imposante par la taille et singulière par le lieu choisi pour sa construction.
Pour le comprendre, replongeons-nous un instant au cœur du Moyen Âge, à la suite des croisades. Ramenant, à leur retour de terre sainte, richesses et découvertes en tous genres, les croisés rapportent aussi dans leurs bagages une bactérie qui est source de désolation.
Un terrible fléau ravage l’Europe plusieurs siècles durant et les épidémies de lèpre y font de nombreuses victimes.
Nos régions n’y échappent pas. Les malades, appelés lépreux, sont rapidement rejetés de la société. Pour les maintenir à distance et éviter la contagion, des léproseries, appelées aussi maladreries ou ladreries, sont construites en dehors des cités.
La Chièvroise Émilie Nisolle, historienne de l’art, rappelle le cadre de cette réalité historique. «C’est en 1126 que la léproserie est instituée par Eva de Chièvres hors des murs de la ville. Le pape Lucius III y autorise l’installation de religieux et lui attribue des privilèges confirmés par les papes Grégoire II et Alexandre IV.»
Une institution qui va perdurer… «Divers documents attestent que des lépreux habitent encore les lieux en 1588. Devenus par la suite inutiles, les différents bâtiments et les terres attenantes sont enfin transformés en ferme dès 1718, appelée ferme de la Ladrerie.»
Le lépreux était confiné
À l’origine, l’édifice religieux était entouré d’un cimetière et de divers autres bâtiments qui permettaient une vie quasi autarcique en bord de Hunelle. La léproserie, servant à la fois de lieu de culte et de salle des malades, témoigne du confinement imposé aux lépreux.
Dans son livre Histoire de la ville de Chièvres (1933), Marcel Van Haudenard évoque cette réalité. «Le malheureux, atteint de lèpre, était éloigné de la société; celle-ci s’efforçait de se protéger d’un mal qu’elle ne cherchait pas à guérir. Aussi le lépreux était-il tenu à l’écart dans quelque asile.»
Ce confinement allait également de pair avec des mesures de distanciation sociale bien réglementée. «S’il en sortait, il devait être vêtu d’un manteau gris, porter un chapeau à large bord, tenir, d’une main, un plateau et, de l’autre, les cliquettes annonçant sa présence», conclut-il.
Une autre époque, mais un confinement et des mesures de distanciation tout aussi nécessaires.
©Stéphane BONGE L’avenir Courrier Hainaut occidental 11 avril 2020
Un hôpital aujourd’hui disparu
Autre toponyme faisant référence aux maladies et à l’accueil à Chièvres: la rue de l’Hôpital.
Elle rappelle l’importance de Chièvres à l’époque médiévale ainsi que les nombreux bienfaits d’Eva de Chièvres. Dédié à l’origine à Notre-Dame de la Fontaine, cet hôtel-Dieu portera par la suite le nom d’hôpital Saint-Nicolas.
Les bâtiments de l’époque ont aujourd’hui disparu.
«Lors de fouilles, des traces du bâtiment initial ont été découvertes à la rue de la Fontaine, explique Émilie Nisolle. L’hôpital apparaît sur le plan de Deventer au XVIe siècle, il était lui aussi situé hors des remparts, au faubourg Saint-Martin. En plus de soigner les malades, on y nourrissait les veuves, les orphelins, les pauvres et les pèlerins.»
Agrandi et déplacé au fil du temps, il poursuit son œuvre non loin de là, dans l’actuelle rue de l’Hôpital.
En 1806, suite à son état de délabrement, la commission des hospices propose sa reconstruction, laquelle est autorisée par décret impérial.
L’hôpital est rebâti en 1813 et il est agrandi en 1875. En fonction jusque durant la première moitié du XXe siècle, cette infrastructure ainsi que la chapelle de la Ladrerie ont été repris comme propriétés de «l’hospice de Chièvres», ancienne appellation de l’actuel CPAS qui en a toujours la charge.
©St.B.
