Chaque jour, dans « Le Soir », un membre du corps médical revient sur sa journée de lutte contre le coronavirus. Alexandre Ghuysen, chef de service associé aux Urgences du CHU de Liège, raconte.
Cela fait des années qu’on parle de la féminisation des études de médecine. Dans un milieu médical assez machiste, beaucoup d’hommes de ma génération s’inquiétaient de voir des amphithéâtres constitués majoritairement de femmes. Eh bien quand je vois aujourd’hui l’investissement de toutes ces jeunes femmes dans cette crise, je voudrais leur rendre hommage.
Je suis impressionné par leur faculté de gestion, moins conflictuelle. Je ne veux pas que mon propos soit perçu comme une guerre des genres. Mais il est établi que les femmes sont plus performantes dans la gestion des facteurs humains, comme la communication et le fonctionnement en équipe.
Dans le secteur aéronautique, plusieurs études ont analysé les causes des crashs d’avion. Il apparaît que dans la majeure partie des cas, l’incident n’est pas dû à un déficit technique, mais à des facteurs humains. Or si les hommes font moins d’erreurs techniques, les femmes sont meilleures sur ces aspects humains. Elles feraient donc de meilleures pilotes ! En médecine aussi, des études de ce type ont été menées. Un bloc opératoire, c’est un peu comme un cockpit… Et la même conclusion a été observée : 70 à 80 % des risques sont liés aux facteurs humains, comme une mauvaise communication d’un dosage de médicament. Un domaine où les femmes commettent moins d’erreurs.
On a plusieurs jeunes femmes, médecins généralistes, qui sont venues nous aider au village Covid depuis le début (le parking du CHU transformé en poste médical avancé pour traiter les urgences, NDLR). Pour les personnes qui n’ont pas d’accès à la médecine générale, ou qui veulent aller au-delà de la consultation par téléphone, c’est précieux d’avoir ces renforts aux urgences. C’est également complémentaire, car elles ont une approche du patient qui est différente, en les interrogeant plus sur leurs conditions de vie à la maison. Cela permet d’assurer le lien entre la médecine de ville et la médecine hospitalière.
Ces généralistes ont proposé de venir nous aider, car elles avaient moins de boulot. Elles auraient pu rester confinées chez elles, mais elles ont préféré s’engager, prendre le risque d’être contaminées en travaillant dans cette zone. C’est très courageux.
Cette jeune équipe m’a bluffé, et a apporté un vrai plus en termes de travail collectif. J’ai entendu certains s’inquiéter du fait qu’une femme médecin n’était « pas assez solide », ou qu’elle « n’avait pas les mêmes qualités physiques ».
Hommes et femmes n’ont peut-être pas les mêmes qualités, mais il faut les deux ! Et les qualités féminines peuvent être extrêmement utiles dans cette crise. On devrait en tirer les enseignements, en visant la parité. Dans les assemblées ou les comités directeurs, on trouve toujours beaucoup de mâles alpha, avec une forte capacité de décision. Mais ça tourne vite à la guerre de testostérone, et aux conflits. Lorsque des femmes sont mises à des postes à responsabilité, c’est un énorme plus au niveau sociétal. Il est temps de s’en rendre compte.
Proos recueilli par Xavier Counass Le soir 17 avril 2020