Les coulisses des négociations
pour la libération d’Olivier Vandecasteele
Par Pauline Hofmann (avec B. Dy) Le Soir 26/05/2023
Opération Blackstone. Pendant de longs mois, c’est sous ce
nom de code que les services belges ont travaillé, dans la plus grande
discrétion, à la libération du Belge Olivier Vandecasteele. Et ce vendredi,
après 455 jours, l’opération Blackstone s’est soldée par un succès. Après
quinze mois d’enfer et de torture, l’humanitaire belge finit par retrouver les
siens. Ceux qui ont tant donné pour le revoir auprès d’eux. Le mot soulagement est
sûrement trop faible.
Pendant quinze longs mois, on
ne compte pas le nombre de personnes qui ont sué sang et eau dans
« l’affaire Vandecasteele ». Des diplomates, les services de la
Sûreté, les membres du gouvernement qui ont travaillé à cette opération
Blackstone. Mais surtout et avant tout sa sœur, Nathalie, mais aussi les autres
membres de sa famille : ses parents, son autre sœur, ses neveux et nièces.
Et ses amis. Olivier Van Steirtegem a mis sa vie entre parenthèses pour lui
donner la plus belle preuve d’amitié : se battre pour sa libération.
« La famille a été reçue
vendredi matin à 8 h 30 par le Premier ministre, les ministres des
Affaires étrangères, de la Justice et de la Défense pour leur annoncer la
nouvelle », indique le gouvernement belge. Durant toute la journée, ils
ont été accompagnés par les services de l’Etat, encadrés. « On les tient
au courant minute par minute », précisait-on dans l’après-midi. Pas question
de les lâcher seuls face à l’immensité de cette nouvelle : « On veut
qu’ils vivent ce moment le plus sereinement possible. »
Ce vendredi soir, sur le
tarmac de Melsbroek, Olivier a retrouvé ses proches. Un peu plus tard
(« sur demande de la famille », précise un membre du gouvernement),
il devait rencontrer le Premier ministre et les trois ministres qui ont
travaillé à sa libération.
Contactée par Le
Soir, Nathalie Vandecasteele demandait un peu de temps vendredi
après-midi : « Nous ne prendrons pas la parole aujourd’hui. Nous
sommes soulagés que le cauchemar d’Olivier se termine et attendons avec
impatience de le serrer dans nos bras. » La voix de Mouna Ferdi, une de ses amies,
s’étrangle à l’idée des retrouvailles : « J’ai tant pensé à ce
moment. Une partie de moi veut juste lui faire un immense câlin. Mais je pense
qu’il y aura beaucoup de pudeur. Rien que de le voir, ce sera déjà
énorme. »
Jusqu’à 25
kilos perdus
Vendredi soir, Olivier
Vandecasteele a donc posé le pied sur le sol belge à l’aéroport militaire de
Melsbroek. A 21h30, un avion militaire en provenance du sultanat d’Oman, dans
le Golfe, a atterri avec à son bord le désormais ex-otage. Pendant tout le
trajet, un psychologue se trouvait aux côtés de celui qui a subi des actes de
torture.
Sur quatorze des quinze mois,
il a été à l’isolement total, sans pouvoir parler à personne. La lumière a été
allumée 24 h sur 24 dans sa cellule, qui ne comportait pendant tout un
temps même pas de matelas. Sur la photo partagée par le gouvernement, prise
dans l’avion militaire, on voit un homme amaigri. Il a perdu jusqu’à 25 kilos
pendant ses longs mois de détention. Mais il tient debout. Ce qui n’était pas
forcément gagné. Pendant tout un temps, les jambes d’Olivier Vandecasteele ne
le portaient plus. Sa famille a tremblé, encore plus.
« Un
homme pour un homme »
Cette libération sonne la fin
d’une interminable (et complexe) affaire qui débute en réalité en juin 2018. Un
attentat est déjoué à Villepinte, en région parisienne. Rapidement, un homme
est arrêté : Assadollah Assadi, un diplomate iranien en poste à Vienne. En
octobre 2018, il est transféré en Belgique pour y être jugé puisqu’une partie
de l’attentat avorté a été organisée depuis Anvers.
En juin 2021, la sentence
tombe pour le cerveau de l’attentat : 20 ans de prison. Assadi renonce à
faire appel. Et la colère de Téhéran s’abat sur la Belgique. « C’est le
début de la misère », raconte un membre du gouvernement belge. Dans un
pays qui a une diplomatie de l’otage chevillée au corps, les risques
d’enlèvement s’intensifient pour les citoyens belges. Au point de réduire la
représentation diplomatique belge de Téhéran à sa plus simple expression :
un ambassadeur. Le 2 janvier 2022, le diplomate en poste rencontre un diplomate
iranien, qui insiste pour obtenir la libération d’Assadollah Assadi. Mais la
Belgique refuse. Régulièrement, le nom d’Ahmadreza Djalali, un professeur
suédo-iranien de la VUB, arrive dans les conversations. Mais l’homme n’a pas la
nationalité belge.
Olivier Vandecasteele, lui, a
quitté l’Iran il y a peu, après cinq ans passés comme travailleur humanitaire
auprès des migrants afghans, l’engagement ancré en lui. Mi-février, il monte
dans un avion vers Téhéran, pour clôturer sa vie là-bas, raconte sa famille. Et
le 24 février au soir, on sonne à la porte pendant qu’il passe une soirée avec
ses amis. Il attend le livreur de pizzas. Ouvre. Et sa vie bascule.
Aucun doute sur ce qui est en
train de se jouer. « C’est une affaire d’un homme pour un homme »,
commente un membre du gouvernement. « C’était cousu de fil blanc. L’Iran
voulait prendre un otage belge. Lui ou un autre, ça allait arriver »,
commente un diplomate. Car l’Iran ne demande que ça : la libération
d’Assadi, condamné pour terrorisme. Les destins d’Assadi et de Vandecasteele,
deux hommes que tout oppose, sont désormais entremêlés. Dans le plus grand secret,
l’opération Blackstone démarre. Assadi et Vandecasteele auront chacun leur nom
de code, tenus sous silence jusqu’à aujourd’hui.
« Un
travail au forceps avec les autorités »
Rapidement, l’appareil d’Etat
belge fait une recommandation (risquée) : adopter un traité de
transfèrement de prisonniers entre la Belgique et l’Iran. L’argument :
régler cette affaire dans le cadre de la loi. Et les ennuis commencent. Le
traité (dont on pressent l’aspect polémique face au chantage d’Etat iranien)
est camouflé, saucissonné entre plusieurs textes. L’affaire ne prend pas :
la polémique monte dans les rangs de la Chambre, notamment à la N-VA. Les
députés Peter De Rover et Daria Safay montent au créneau. Les débats sont
chauds. Et au beau milieu de l’été, le ministre de la Justice (qui porte le
texte) dévoile le pot aux roses : la Belgique a un otage en Iran. Et ce
traité, assure-t-il, est nécessaire pour le sortir de là.
Dans la majorité, on avale
quelques couleuvres et le texte finit par être adopté au bout de la nuit, une
veille de la fête nationale. Olivier Vandecasteele doit tenir quelques semaines
et, espère-t-on, on échangera les prisonniers à l’automne. Mais c’était sans
compter la ténacité d’un mouvement d’opposition iranienne. Le Conseil national
de la résistance iranienne est une des bêtes noires de Téhéran. Longtemps sur
les listes européennes des organisations terroristes, ceux qui ont leur lot de
détracteurs se lancent dans une croisade judiciaire. Leur but : éviter la
libération de celui qui a voulu les tuer. Car c’est eux que visait Assadollah
Assadi dans l’attentat avorté de Villepinte.
En ouvrant la porte de l’Etat
de droit, le gouvernement belge a donc ouvert les portes de sa justice. Et le
Conseil national de la résistance iranienne l’a saisie. Ils déposent des
recours, qui montent jusqu’à la Cour constitutionnelle. L’affaire,
interminable, prend des mois. Chaque soubresaut est observé de près par le
gouvernement, la famille, les amis, les avocats qui entourent ce dossier
brûlant. En parallèle, dans la prison d’Evin à la triste réputation, l’état
d’Olivier Vandecasteele s’aggrave. On craint pour sa vie. On compte les kilos
qu’il perd.
L’Iran est loin d’être un
interlocuteur facile. L’appareil d’Etat est divisé, le pays souffle le chaud et
le froid. Avant cette affaire, la Belgique n’avait eu qu’à gérer une seule
affaire d’otage dans les années 2000, passée relativement inaperçue. Un couple
arrêté à la frontière du Pakistan et pour laquelle la Belgique avait négocié un
appui à un projet international cher à l’Iran. « C’était un deal
indirect », raconte un diplomate.
Mais ici, un événement
inattendu vient compliquer encore la vie de l’otage, pris dans une histoire
plus grande que lui : la mort de Mahsa Amini. Un mouvement de contestation
sans précédent enflamme les rues du pays. Le régime iranien fait ce qu’il sait
faire de mieux : réprimer dans le sang. Les condamnations internationales
(et belge) pleuvent. A Bruxelles, l’Iran s’agace des positions de la diplomatie
belge, qui joue un jeu d’équilibriste.
« En quinze mois, nous
avons convoqué quinze fois l’ambassadeur iranien à Bruxelles », détaille
un membre du gouvernement. « C’est une mesure forte, en diplomatie. »
Autant de convocations, c’est inédit. « Des dizaines de démarches ont été
entreprises par notre ambassadeur à Téhéran. Il y a eu des notes verbales, des
rencontres… A chaque nouvelle information, cela a demandé un travail au forceps
avec les autorités. » Plusieurs rounds de négociations se déroulent,
souvent sans succès.
« La ministre Sophie
Wilmès puis Hadja Lahbib ont déployé cette activité diplomatique dans la plus
grande discrétion. C’est comme ça que se règlent ce genre de choses »,
continue un membre du gouvernement. Au total, Hadja Lahbib a eu sept contacts
avec son homologue iranien. Dont deux rencontres de visu :
l’une à New York, en marge de l’assemblée générale de l’ONU. Et l’autre à
Genève, à l’ONU toujours.
L’artifice
Début mars, après cette
rencontre, tout a un instant semblé s’accélérer. Les téléphones chauffent. Car
dans la foulée, le Premier ministre Alexander De Croo contactait le président
iranien Ebrahim Raïssi, un dur parmi les durs. Un contact à très haut niveau.
Ni une ni deux, les proches d’Olivier Vandecasteele étaient convoqués en
urgence aux Affaires étrangères. Le porte-parole de son groupe de soutien,
Olivier Van Steirtegem rentre précipitamment de Paris. Sa sœur, Nathalie, fait
les deux heures de trajet depuis la région de Tournai. Mais le soufflé retombe.
Et la galère continue, car la
Cour constitutionnelle se prononce dans les jours qui suivent sur le fameux
recours. Le traité est validé (soulagement pour la famille) mais les victimes
d’Assadi pourront déposer un (nouveau) recours contre son transfert, lui-même
susceptible d’appel. Au gouvernement belge, on sue. Car la pression monte du
côté iranien. Les interminables tractations judiciaires, Téhéran apprécie peu.
Et les services de la Sûreté pressentent une condamnation encore plus lourde
pour le Belge dans un pays qui pratique sans vergogne la pendaison.
Le gouvernement consulte des
constitutionnalistes et trouve alors un nouvel artifice. Passer par l’article
167 de la Constitution, qui stipule notamment que « le Roi dirige les
relations internationales ». Mercredi, le roi Philippe signe un arrêté
royal : « Vu la menace grave, imminente et continue pour la sûreté
nationale de la Belgique, à laquelle une réponse urgente doit être apportée (…)
le nommé Assadollah Assadi est remis à la République islamique d’Iran. »
Jeudi soir, Assadi est sorti de sa prison. Les opposants iraniens n’en savent
rien. Le risque de recours est écarté.
Près d’un an après avoir fait
voter ce traité, on le balaie d’un revers de la main. Le gouvernement aurait-il
pu aller plus vite, éviter ces mois de procédures, en faisant ce que tous les
pays du monde font, c’est-à-dire négocier dans le plus grand secret ?
« On a pris le chemin le plus long et le plus compliqué. Ça a prolongé le
processus », juge un diplomate expert de la région. « Après coup,
c’est toujours facile de refaire le film », indique un membre du
gouvernement.
Au final, 455 jours après son
arrestation, après des mois de procédure judiciaire, de négociations, Olivier
Vandecasteele retrouve la liberté (et le ciel de Téhéran) jeudi soir. Une
équipe de médecins belges est dépêchée sur place, pour s’assurer qu’après plus
d’un an de calvaire, il est bien en état de s’envoler pour la Belgique. A
l’aéroport, l’ambassadeur belge de Téhéran le retrouve, le reconnaît, et donne
son feu vert : il peut monter dans l’avion, direction Oman. Le sultanat du
Golfe, expert dans la négociation d’otages avec l’Iran, a joué les
entremetteurs. Assadollah Assadi et Olivier Vandecasteele ne se sont pas
croisés sur le tarmac de Mascate, nous dit-on.
Après cette folle année,
cette folle journée, « je vais aller dormir », nous souffle un membre
du gouvernement. Olivier, lui, va réapprendre la liberté.
Pour information
Que dit l’article 167 de
notre constitution belge
Art. 167.§
1. Le Roi dirige les relations internationales, sans préjudice de la
compétence des communautés et des régions de régler la coopération
internationale, y compris la conclusion de traités, pour les matières qui
relèvent de leurs compétences de par la Constitution ou en vertu de celle-ci.
Le Roi commande les forces armées, et constate l'état de guerre
ainsi que la fin de hostilités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt
que l'intérêt et la sûreté de l'Etat le permettent, en y joignant les
communications convenables.
Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire, ne peut
avoir lieu qu'en vertu d'une loi.