Lessines fête le 550e anniversaire d’une tradition du Vendredi saint unique au monde
Gérald DECOSTER Rtbf
Par le monde, particulièrement en Europe, le Vendredi saint qui, pour les catholiques, commémore la mort du Christ, revêt des aspects parfois bien particuliers. En Belgique, en province de Hainaut, le Vendredi saint lessinois célèbre son 550e anniversaire " officiel " ce 18 avril 2025.
Du côté de la Côte d’Azur, Nice, Monaco, Roquebrune-Cap-Martin sont quelques-unes des villes et villages où, le Vendredi saint, des rites spécifiques se déroulent : de façon assez sobre, des pénitents défilent dans les rues, transportant divers groupes illustrant la Passion. En revanche, l’Espagne connaît des démonstrations bien plus colorées et bruyantes avec ses processions de la Semaine sainte. Chaque continent, chaque pays, tel l’Italie, chaque région vit ces moments particuliers selon ses traditions propres.
LE VENDREDI SAINT EN BELGIQUE

La Belgique et particulièrement la Wallonie recèlent aussi quelques traditions propres au Vendredi saint. Ainsi, à Tournai, depuis 1825, un grand marché aux fleurs est organisé ce jour-là. Mais, plus religieusement, la cité aux cinq clochers et " 400 cloches " organise, depuis 1951, un chemin de croix le Vendredi saint (voir photo ci-contre) .
Quant à Virelles, dans l’entité de Chimay, c’est depuis 1953 qu’une procession de pénitents portant des croix, arpente, à la nuit tombée, les rues du village, une tradition instituée par le curé Jérôme Denukt, originaire de Lessines…
À LESSINES, 550 ANS DE TRADITION DU VENDREDI SAINT

C’est au moins depuis 1475 qu’à Lessines, en l’église Saint-Pierre, un rite significatif se déroule le Vendredi saint. Probablement s’agissait-il alors d’une mise en scène, d’une dramatisation de la Passion ou, du moins, de la mise au tombeau du Christ qui la clôture.
C’est en effet au XVe siècle qu’apparaît le " mistère ", issu du latin misterium, un genre dramatique héritier d’une théâtralisation connue en Europe occidentale dès le Xe siècle dans la liturgie du temps pascal. Le Quem Quaeritis – Qui cherchez-vous ? - constitue la plus ancienne coutume du genre, une scénographie où les saintes femmes découvrent le tombeau du Christ vide.
À Lessines, c’est en 1436 que Bryen de Weybroch et son épouse, Isabeau de la Motte, font édifier la chapelle de la Sainte-Trinité, au flanc sud de la tour romane de l’église Saint-Pierre. À l’extérieur de l’oratoire, dans le mur central du chevet, un bas-relief aujourd’hui extrêmement détérioré, représente la mise au tombeau du Christ. C’est très probablement dans cette chapelle qu’avait lieu la Mise au tombeau du Christ, un rite qui y demeurera jusqu’en 1939.

En effet, c’est dans cet oratoire que se trouvait, jusqu’au bombardement de l’édifice le 11 mai 1940, le sépulcre abritant le gisant du Christ, une statue en chêne, grandeur nature, remontant aux environs de 1670-1680, époque où le rite du Vendredi saint lessinois s’extériorise :
…au soir on fera la procession par la ville avec l’image de Notre Seigneur...
témoigne un Semainier de l’église : désormais, un cortège funèbre accompagne la dépouille du Christ, avant de la mettre au tombeau dans la chapelle de la Sainte-Trinité.
Si la tradition lessinoise du Vendredi saint remonte au 15e siècle, voire probablement plus tôt encore, c’est donc dans le cours du dernier quart du 17e siècle qu’elle prend sa forme actuelle de trilogie : l’office de la Passion, dit aussi " des Présantifiés " – car ce sont les saintes espèces consacrées la veille, Jeudi saint, qui sont utilisées, l’office du Vendredi saint ne comprenant pas d’eucharistie – la procession accompagnant le Christ et Notre-Dame des sept douleurs et la Mise au tombeau. C’est cette trilogie particulière qui fait du Vendredi saint de Lessines, un rite à coup sûr unique dans le nord de l’Europe, voire au monde.
QUAND LA TRADITION ÉVOLUE
Détruite en mai 1940, l’église Saint-Pierre de Lessines ne sera restaurée qu’à partir de 1950 et solennellement consacrée le 22 mai 1952. Dès cette année-là, le Vendredi saint, 11 avril, marque une évolution importante : la trilogie est transposée en début de soirée et les hommes, jusqu’alors en tenue de ville, revêtent dorénavant bure, cagoule et cordelière de pénitent.

Dès 1953, le gisant du Christ en plâtre, acquis à la suite de la destruction de l’œuvre du XVIIe siècle, est remplacé par une sculpture commandée à Harry Elström, qui sculptera également la nouvelle statue de la Vierge des sept douleurs. Rapidement, les porteuses et accompagnatrices de cette dernière, portent une cape à capuche noire tandis que des femmes vêtues de noir et coiffée de la mantille – les " deuillantes " – suivent la procession que défile dans la vieille ville, au seul éclairage des torches et des lanternes, l’éclairage public étant éteint.
Au son des crécelles accompagnant les rejetés, des tambours signalant les suppliciés et des chants de lamentation, la procession dite " des Pénitents " perpétue la tradition. Elle se clôture par la Mise au tombeau du Christ, en l’église Saint-Pierre.
Si ce Vendredi saint typiquement lessinois est, certes, religieux, dès le XVIIe siècle, avec la sortie de la procession en ville, il se veut rassembleur, le rite se partage avec l’ensemble de la ville. Avec l’apparition des Pénitents, le rite s’associe désormais au Folklore dans toute sa beauté, mais aussi, dans le cas de Lessines, dans une sobriété en totale opposition avec les traditions du bassin méditerranéen.
Il semble évident que la transformation en 1952 des simples laïcs, porteurs et accompagnateurs, en pénitents a sauvé cette tradition séculaire que le concile œcuménique de Vatican II aurait probablement envoyée dans les oubliettes de l’Histoire, alors qu’elle avait réussi à en surmonter tous les accidents que sont révolutions et guerres. Aujourd’hui, ce rite ne cesse d’étonner. Croyants ou simples touristes peuvent y puiser ce qu’ils souhaitent de cette tradition au parfum de mystère, demeurée respectueuse de son histoire et de ses mutations.
L’office débute à 19h30, suivi de la procession des Pénitents et se clôture par la Mise au tombeau en l’église Saint-Pierre.